Vous serez le bienvenu (sic), et tous sauront vous prouver que vos propos ne sont pas tombés dans l'oreille de sourds! Affligeants!
Déclaration de Sarkozy. Vague d’indignation – Le Télégramme, le 25 août 2007
Les propos de Nicolas Sarkozy sur les Bretons (notre édition d’hier) soulèvent un véritable tollé dans la région. Sur le Net, les réactions pleuvent. Les élus montent au front.
« Qu’est-ce qu’on va foutre dans un centre opérationnel sinistre à regarder un radar ? Qui a eu cette idée de demeuré ? (...) Je me fous des Bretons. Je vais être au milieu de dix connards en train de regarder une carte ! (...) Derniers jours de campagne dans une salle à voir une carte ! Grand sens politique vraiment ! ».
Ces propos rageurs, tenus par le candidat Sarkozy à son directeur de campagne, dans le cadre de sa visite au Cross Corsen, à Plouarzel, le 1er mai 2007, soit quelques jours avant le deuxième tour de la présidentielle, sont rapportés dans le livre de Yasmina Reza « L’aube, le soir ou la nuit », sorti aux éditions Flammarion. Pendant toute la campagne, l’auteure dramaturge a suivi le candidat de l’UMP au quotidien, dans chacun de ses déplacements, dans les réunions les plus fermées.
Hasard du calendrier
Yasmina Reza était donc aussi au Cross Corsen, où il était venu saluer « la France qui travaille ». Drôle d’hommage à la vérité. Ses propos, très peu repris (sur M6, dans l’édition du Times en ligne, et notre édition de samedi), provoquent une véritable onde de choc en Bretagne. En 1974, de peur d’égratigner son image, le candidat Giscard avait bloqué la diffusion du documentaire de Raymond Depardon, intitulé « Une partie de campagne », qui retraçait sa course à l’Elysée (il n’est sorti qu’en 2002). Nicolas Sarkozy, intrépide, a choisi la transparence, sans savoir que sa « tirade », hasard du calendrier, serait publiée deux jours après sa venue à Plouescat, aux obsèques du patron-pêcheur Bernard Jobard, où les conditions de sa visite en avaient étonné plus d’un.
Les élus montent au front...
Le président de la région Bretagne, Jean-Yves Le Drian (PS), peine à y croire : « Si les propos que l’on prête au candidat Sarkozy sont exacts, ils sont à la fois choquants et méprisants. Ils méritent pour le moins excuse et réparation à l’égard des Bretons, qui peuvent légitimement s’estimer insultés. Le rôle du président de la République est de garantir l’unité de la nation et de faire du respect de l’autre le fondement de la République. Si de telles déclarations étaient confirmées, elles vont à l’encontre de ces principes fondamentaux et interrogent sur les réelles valeurs de Nicolas Sarkozy ». Ambroise Guellec, l’un des patrons de l’UMP Bretagne, relativise : « Qu’on nous laisse tranquilles avec les propos que l’on peut tenir en privé ! » Et d’ajouter, malgré tout : « Il faut savoir tenir sa langue... ». Marguerite Lamour, députée-maire UMP de Ploudalmézeau, était à ses côtés ce jour-là : « Le chef de l’État a du respect pour les Bretons comme pour tous les Français. Nous étions à quelques jours du second tour. Qui n’a jamais dit des mots qu’il ne pensait pas vraiment ? ».
« C’est peut-être un cri du cœur »
Marylise Lebranchu (PS), oscille entre deux sentiments : « Quelqu’un de fatigué peut dire des bêtises. Même si les Bretons vont être atterrés. Il y a quelque chose qu’il n’a pas compris. Après l’Amoco, l’Erika..., le Cross Corsen est fondamental pour nous ». Avant de constater : « C’est peut-être un cri du cœur finalement. Il s’en fout peut-être vraiment de la Bretagne et du Cross Corsen ». Comme l’explique François Cuillandre, maire de Brest, « j’avais déjà eu des échos de la manière dont la visite s’était déroulée. Il n’avait visiblement rien à faire de ce qu’il avait sous les yeux, malgré les efforts du directeur du Cross, qui s’évertuait à expliquer comment cela se passait. Il aurait visité Disneyland, c’était la même chose. À propos du Cross Corsen d’ailleurs, j’avais trouvé anormal qu’il puisse visiter un lieu qui ne se visite pas comme ça. Jospin l’avait fait, mais hors campagne électorale. Ce qui est désagréable, c’est que ça arrive quelques jours après les obsèques de Bernard Jobard, à Plouescat, où nous a été donné un nouvel exemple de la pipolisation de la vie politique ». « Je ne me fous pas des propos de Nicolas Sarkozy, s’indigne Christian Troadec, conseiller régional et maire de Carhaix. Ils sont indignes d’un président de la République. Les Bretons ont une excellente mémoire. On lui souhaite bonne chance pour sa prochaine visite en Bretagne ».
« Pas assez d’eau salée dans les veines »
Par contre, impossible de faire réagir, hier, un marin du Cross ou de la Royale, même sous couvert d’anonymat. « Trop délicat, trop risqué » disent-ils, « les conséquences pourraient être immédiates et des plus expéditives ». Le précédent préfet maritime, Laurent Mérer, qui a épousé la carrière politique (MoDem), y voit une réaction épidermique, complètement liée au contexte. « On a tous des moments de fatigue, on peut tous perdre ses nerfs au cœur d’une campagne aussi lourde. Je veux penser que ces propos ne proviennent pas du fond de sa pensée, je reste persuadé qu’il faut aimer les gens pour diriger un pays. Cependant, à adorer se mettre en scène, on s’expose naturellement à ce genre de revers. Au final, c’est vraiment dommage que cette polémique se développe autour de sujets maritimes et d’une sécurité en mer qui ne doivent souffrir d’aucune dissension. Sans doute que Nicolas Sarkozy n’a pas assez d’eau salée dans les veines ».
Non, non, Sarkozy aime les Bretons...
C’est une histoire de dingue. Un livre de fou, d’abord. Celui de Yasmina Reza, qui, habituellement, écrit romans et pièces de théâtre. Cette fois-ci, elle a suivi Sarkozy pendant la présidentielle. De cette expérience, elle ramène un livre-pépite sur les coulisses de l’élection. Une collection de perles du candidat. Qui, parfois, s’ennuie à mourir. « Tu fais des dizaines de kilomètres de bagnole et à la fin, tu as un type qui te dit : Et la prime à la brebis ? » Le candidat se confie. Dans l’avion qui le ramène sur Paris : « J’aime Chimène Badi, à la folie ! » ou encore « Je vais vous faire sursauter. Je ne considère pas que Dick Rivers soit un naze. » Un candidat qui répète que Jodie Foster, dans Le Silence des agneaux qu’il vient de voir, est « formidable ». « Formidable », comme le film. « Comme l’écran large » de sa nouvelle télévision. C’est ça, l’intimité de Sarkozy. Voilà l’homme. Celui que vous n’avez jamais lu dans la presse, ou vu à la télé. Les journalistes, souvent accusés d’être à la botte du pouvoir, n’ont rien rapporté, ou si peu. Yasmina Reza, elle, balance tout. On se retrouve à côté d’un type qui pique des colères noires, qui traite ses proches et ses adversaires de « trous du cul ». Ségolène Royal ? « Une pauvre conne. » Pratiquement le même propos qu’avait tenu son ami Devedjian, à l’égard d’une députée battue. Une caméra filmait. Il ne l’avait pas vue. Nicolas Sarkozy, lui, savait que Yasmina Reza était à ses côtés. Il lui avait même donné sa bénédiction. Ce n’était pas du off. Que retient-on au final ? Sarkozy qui serre des mains, adresse des saluts à tout va, même quand il s’apprête à assister à un enterrement... Et celui qui, en coulisses, dans l’intimité, est d’une vacherie sans nom. L’homme politique et l’homme tout court. Celui qui est en représentation et le vrai Nicolas Sarkozy, capable, comme tout un chacun, de « péter un plomb ». Ceux qui détestaient le premier risquent d’aimer encore moins celui dépeint par Yasmina Reza. « Nous craignons qu’il se foute vraiment de la Bretagne, nous ont confié, hier, plusieurs personnes qui ont l’occasion de l’approcher régulièrement. Lui passe ses vacances aux États-Unis, à Saint-Tropez. La Bretagne, pour lui, c’est la pluie. C’est la région qui a voté Ségolène... » Quel Sarkozy croire ? Celui qui rencontre, en mai, « dix connards en train de regarder une carte (marine, Ndlr), dans un centre opérationnel sinistre » ? Ou celui qui, il y a quelques jours, alors qu’on enterre Bernard Jobard, assure que « les gens de mer font un travail formidable et risqué » ? En donnant carte blanche à Yasmina Reza, Nicolas Sarkozy a accepté de se révéler un peu plus. Toujours plus. Risqué ? Non, ça aussi, il s’en fout. Il est président. « Je vais avoir un palais à Paris, un château à Rambouillet et un fort à Brégançon. C’est la vie », déclarait-il, alors que les résultats du second tour allaient être annoncés. Bien, pas bien. C’est égal. À Yasmina Reza, il confiait : « Même si vous me démolissez, vous me grandirez. » Une histoire de dingue. Hier soir, le téléphone sonne à la rédaction. C’est l’Élysée. « Nicolas Sarkozy n’a jamais tenu ces propos. Il aime la Bretagne et il apprécie les Bretons. » Qui croyez-vous ?
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